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Un point de départ à la pratique

J'ai eu la chance de trouver un propriétaire de livre qui a souhaité, un jour, se séparer de cet ouvrage. Peut être était il arrivé au point culminant de sa pratique ne nécessitant plus de se référer à aucun texte ou savoir... Etant pour ma part loin, très loin, d'un samâdhi effleuré, ou du kaivalya ultime, j'ai été ravie de l'acquérir ! Il a cette odeur du vieux papier qui recèle des secrets anciens et oubliés... 

On y trouve des indications posturales précieuses et des points de vue très intéressants sur la pratique. Parmi eux, celui-ci que je me permets de retranscrire ici, offre matière à réflexion.

Il s'agit de l'extrait d'un chapitre qui s'intitule : "Compétence solitaire ou imprégnation du modèle". Il pose la question de la justesse à pratiquer seul et sans guidage ou dans un cours collectif rempli de "(...)groupes anonymes, ou en compagnie de moniteurs amateurs, sans formation précise"  et ce, au regard de la complexité de tout ce qui se joue dans une posture, tant au niveau physique que subtil. 

Ajoutons aujourd'hui à cette interrogation légitime que les circonstances de pratiques se sont encore multipliées et parmi elles, la pratique en ligne. 

"Notre vie occidentale appelle d’urgence une détente primaire, dans la déroute de notre écologie et la trépidation de notre quotidien, donnons-nous au moins quelques lambeaux de paix de l’esprit. Que les moyens ne soient pas parfaits, oui ; que les buts ne se trouvent pas facilement atteints, soit ; que les véhicules puissent paraître suspects, d’accord. Ne sont-ils pas à l’image même du demandeur ? Qui peut se targuer chez nos contemporains « d’être prêt pour que le maître arrive », selon l’adage indien ?

En fait nous avons le maître à notre mesure.

Force nous est faite de commencer avec les moyens du bord, mais en gardant une vigilance constante. Le hatha-yoga, vécu comme démarche de sérénité, ne peut jamais s’accompagner ni d’une sensation de fatigue, ni d’une pulsion de renonciation à la vie. Le critère est parfaitement fiable : n’importe qui peut sentir croître ou diminuer sa vitalité. Dès les débuts, que ce soit dans des circonstances privilégiées, en tête-à-tête avec un enseignant sage, ou dans le climat terne d’un grand groupe hétéroclite, ou dans le dénuement complet de la solitude, une pratique bien tempérée doit donner concrètement une habileté à vivre. Ce n’est pas son but ultime, mais c’est le premier signal indiquant que la voie est bonne.

Peux importe l’élégance du véhicule, l’essentiel est de partir, de retrouver d’abord le sel du quotidien, de regagner petit à petit l’aptitude à vivre, qui seule pourra garantir un éventuel dépassement."

 

Eva Ruchpaul dans "Hatha-yoga bien tempéré"

Presses universitaires de France, 1978

Evaluer sa vitalité est proposé ici comme critère de départ. Si la pratique l'entretient et la fait croître, c'est bon signe ! Dans le cas contraire, c'est qu'il y a un problème. 

Hors avons-nous toujours la faculté de la "sentir croître ou diminuer" ? Il est clair que depuis 1978, notre qualité de vie s'est certainement détériorée. Et cette détérioration ne va pas dans le sens d'une perception éclairée et d'un observateur intérieur toujours conscient.

Nous sommes hyper-connectés et malgré tout bien souvent déconnectés de nous-mêmes (et sans doute mal-connectés à nos semblables et notre environnement). Se relier à soi passe par l'expérience que nous avons du corps et notamment dans la pratique à travers le souffle qui le traverse et atteste de notre présence.    

Cette qualité de présence, cette "aptitude à vivre" se rappelle à nous à chaque début de séance. Elle peut se développer et s’ancrer dans nos quotidiens à condition d'une pratique régulière et des rappels d'attention au fil de la journée. Et petit à petit, le témoin intérieur assure sa fonction de "vigilance constante".

Il ne suffit pas d'être juste là, il s'agit d'être en présence pour être juste.

 

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