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Vipassana, une (sacrée) expérience


La première fois que j’entends « parler » de Vipassana, c’est à travers un article de blog il y a une dizaine d’années. Je me souviens avoir été interpelée « 10 jours de silence ?! Waouh jamais je n’en serai capable…  Peut-être que j’essaierai, un jour… ».

Le sujet de mémoire en fin de formation "Yoga et Ayurveda" me porte vers la vibration inaudible et le silence, j’y vois une occasion tombant à pic « d’essayer Vipassana » mais comme on décide d’essayer les voyages organisés en groupe, en occultant totalement et consciemment la destination du dit voyage…

Le premier objectif de cet enseignement : l’apprentissage d’une technique de méditation 10 heures par jour et pendant 10 jours. Le silence n’est qu’un des aspects de cet enseignement, de ce voyage, pas la destination. Je me suis coincée toute seule, comme une grande et j’en souris largement aujourd’hui en repensant à ma désinvolture !

Quelques jours avant le départ, je relis les instructions, le règlement intérieur et le programme des 10 jours, ça va être sport…

 

Les trois premiers jours, j’ai très envie de partir, je me sens loin de chez moi, esseulée. Tout me semble carcéral : les « promenades » au-delà desquelles on ne doit pas s’aventurer, les « numéros » que l’on nous attribue (place à table, numéro de lit, numéro de coussin dans le grand Hall de méditation), les « bâtiments », les « cellules » … Le champ sémantique me heurte. A l’écoute du premier discours du soir, j’en ressors perplexe : un désir d’adhésion et de compréhension et à nouveau une « forme qui pique ». 

 

Est-ce culturel ? J’ai l’instinct assez automatique à la méfiance lorsque j’entends : « non pas que les autres techniques de méditation ne sont pas bonnes mais il est certain que CELLE-CI est LA meilleure technique qui soit. » Je suis pourtant habituée aux chants de mantras, à la façon indienne de diviser, subdiviser et sub-subdiviser encore les notions, aux histoires et anecdotes portant des messages universels, mais rien n’y fait, je trouve les mots trop pesants, les chants trop lents, les explications trop répétitives, je commence en fait à trouver tout cela louche : mais pas S.R. Goenka – le fondateur des centres Vipassana – c’est bien moi que je trouve louche, inhabituellement réticente, douteuse et presque sur la défensive. Et dans le même temps, je comprends, je perçois, j’entrevois ce que cette technique a d’accessible et la voie d’introspection qu’elle peut ouvrir.

 

Je saisis progressivement que mon mental en est la cause : il est en panique et se rebiffe, pris au piège, il cherche une échappatoire. Dès lors, je commence à me détendre et accepter l’expérience, entièrement.

 

La méditation Vipassana a pour socle le Dhamma (l’équivalent du Dharma), la loi universelle de la Nature, reposant sur 3 qualités essentielles : sīla (l’éthique morale), samādhi (la concentration, la maîtrise de l’esprit) et paññā (la sagesse, connaissance sous forme de vision intérieure purifiant l’esprit).

 

Voici un texte de présentation issu du site internet https://mahi.dhamma.org/fr/ expliquant ce qu’elle est et son objectif :

 

« Vipassana, qui signifie voir les choses telles qu’elles sont réellement, est l’une des plus anciennes techniques de méditation de l’Inde. Elle a été redécouverte par Gotama le Bouddha il y a plus de 2500 ans et était enseignée par lui en tant que remède universel pour des maux universels ; c’est un Art de vivre. Cette technique non-sectaire a pour objectif l’éradication totale des impuretés mentales et le bonheur suprême de la libération totale qui en résulte.

Vipassana est une méthode de transformation de soi par l’observation de soi. Elle se concentre sur l’interconnexion profonde entre l’esprit et le corps, dont on peut faire l’expérience directement en portant une attention disciplinée aux sensations physiques qui constituent la vie du corps, et qui sont en interaction constante et conditionnent la vie de l’esprit. C’est ce voyage d’exploration de soi, fondé sur l’observation, pour atteindre la racine commune de l’esprit et du corps, qui dissout les impuretés mentales et résulte en un esprit équilibré plein d’amour et de compassion.

Les lois scientifiques qui guident nos pensées, nos sentiments, nos jugements et nos sensations deviennent claires. Par l’expérience directe, nous comprenons la nature selon laquelle nous progressons ou régressons, la façon dont nous produisons de la souffrance ou la manière de s’en libérer. La vie se caractérise alors par une conscience augmentée, l’absence d’illusions, le contrôle de soi et la paix. » 

 

 

Le cours de 10 jours est un apprentissage de cette technique. Dès le premier jour, il demande l’intégration et la pratique effective de certaines restrictions : sīla l’éthique morale. Elle consiste à s’abstenir de tuer, de voler, d’avoir des activités sexuelles, de mentir et de prendre des intoxicants. Puis la méditation en soi (dans ce contexte : samādhi) consiste tout d’abord durant 3 jours à l’observation du flux continu de la respiration naturelle et de son caractère changeant. La fixation de l’esprit sur une seule tâche et un champ d’observation de plus en plus petit permettent ainsi d’aiguiser l’esprit « comme un scalpel ». Le quatrième jour, la technique Vipassana est enseignée, il s’agit d’observer et d’accueillir les sensations corporelles dans tout le corps, comprendre leur nature changeante, impermanente et développer l’équanimité en apprenant à ne pas y réagir (développement de paññā, la connaissance issue de l’expérience directe). 

 

Nous sommes responsables de notre bonheur et/ou de notre malheur, nous portons en nous le choix libre et éclairé d’entretenir l’un ou l’autre.

 

Tout ce qui se produit, venant de l’extérieur comme de l’intérieur, produit une ou des sensations dans le corps. Notre conditionnement et fonctionnement naturel apprécie cette sensation (rāga : désir, attraction) souhaitant qu’elle dure ou se reproduise ou bien ne l’apprécie pas (dveṣa : rejet, répulsion) souhaitant la supprimer ou s’en éloigner. Or, tout est voué à passer, se transformer en permanence, c’est une loi naturelle. S’attarder sur ce qui est impermanent, le laisser nous emporter dans l’attachement ou le rejet apporte souffrances et frustrations. Entrainer l’esprit et le cœur à l’équanimité permet de réduire ces souffrances, de ne plus être en réaction automatique pour petit à petit développer des qualités de cœur telles que l’amour, la compassion et la bienveillance.   

Plus j’avance et plus je saisis de quoi il en retourne, plus je médite – nous y voilà, je m’aperçois que je pensais méditer auparavant sans être vraiment là – plus je comprends pourquoi il est indiqué dans les écrits que le chemin spirituel sincère est difficile, exigeant et semé d’embuches…

 

Moi qui m’imaginais ainsi : 

 

Forcée de constater que j’en suis plutôt là : 

 


 

Ce qui est bien pratique avec le bruit extérieur, c’est qu’il peut offrir mille et une occasions de s’en prendre aux circonstances, proposant ainsi au psychisme de belles raisons pour justifier ses errances. Avec le bruit intérieur, c’est une tout autre affaire… Cette occasion offerte ici de se confronter au silence met en évidence le vacarme interne très inventif de mon mental retors. Mon « juke-box intégré » s’en donne à cœur joie : du matin au soir il passe en boucle un morceau de rock métal en alternance avec « La bonne du curé » d’Annie Cordy… Sur les conseils de l’enseignante, je le relègue à un bruit de fond d’arrière-cuisine sans même le chasser. Il se fait plus discret et perd de son insistance.

 

Je peux revenir à ma simplissime tâche : observer les ressentis corporels et demeurer équanime à tout ce qui se présente. Et il s’en présente ! Il me semble que de vieilles portes s’ouvrent laissant émerger des souvenirs plus que passés aux couleurs défraichies, des sensations diffuses et confuses dans le corps, une impression d’être désaxée avec une forte prégnance à droite et un vide sidéral à gauche. Puis au fil des jours les sensations s’harmonisent, je réhabite à nouveau le côté gauche du corps. Je laisse venir mes écuelles rouillées les accueillant comme des rêves qui passent, tout comme mon juke-box, elles me semblent désormais moins bruyantes.

 

Je prends alors conscience que 10 jours seront insuffisants, j’ai à peine dégrippé les serrures permettant une ouverture. J’entrevois le caractère exceptionnel et intemporel de cet outil dédié à svādhyāya (l'étude de soi). Il porte aussi une dimension « rafraîchissante » en regard de notre culture européenne marquée par deux siècles de psychanalyse où il convient de creuser, comprendre, fouiller pour au final accepter. Le fait de passer en tout premier lieu par le corps et ses sensations, puis d’accepter (à travers l’impermanence et l’équanimité) sans chercher forcément à saisir intellectuellement permet, il me semble, d’avoir une approche des émotions distanciée et peut être une compréhension et des intégrations plus apaisées, moins en réaction. 

                  

 

Je ne parviens pas encore aujourd’hui à clairement identifier si j’ai apprécié ou pas l’expérience Vipassana - dans sa forme.

 

Je dois laisser poser et poursuivre. Il est certain malgré tout qu’elle est déterminante et que j’en sors différente dans l’approche de la méditation, dans mon rapport au silence – à mon silence - tant habité. L’entrainement à l’équanimité m’est très utile sur bien des plans. « Voir les choses telles qu’elles sont », quel programme… très utile dans le quotidien et essentiel dans l’accompagnement ayurvédique.

 

Un chemin s'ouvre, je compte l'arpenter et j'espère pour un moment. 

 


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Commentaires: 2
  • #1

    Patricia Fouqué (mercredi, 07 juin 2023 15:12)

    Un grand merci pour ces partages intéressants et généreux !

  • #2

    Sabine (mardi, 18 juillet 2023 13:01)

    Merci pour ton partage, ça me donne une impression vertigineuse de sagesse intérieure, de fraicheur et une envie, pour moi, d'aller plus loin dans la pratique. Merci pour ton honnêteté.